Le Bio, LA Bio, l’agroécologie, l’agriculture du vivant… Comment s’y retrouver ?

En bref... Il existe deux types d’agriculture biologique, celle qui se limite au cahier des charges européen et celle qui va plus loin, en travaillant sur l’ensemble de l’écosystème : provenance et nature des produits utilisés pour la production ou l’élevage, respect des sols, bien-être animal… Mais ces aspects peuvent être pris en compte sans pour autant avoir une labellisation Bio, c’est bien là que se niche toute la complexité du sujet !

Pourquoi fait-on la distinction entre LE bio et LA bio ?

Aujourd’hui, ce qu’on appelle LE bio est un cahier des charges européen, alors que ce qu’on appelle LA bio est plus de l’ordre de la philosophie.

C’est certainement Claude Gruffat, ancien PDG de Biocoop, qui décrit le mieux la différence : “Le bio, lui, est porté par un règlement, un label, des obligations de moyens. Il respecte un cahier des charges, mais ne se préoccupe pas de la relation homme/animal, ni des conditions de travail du paysan, ni de la pérennité… c’est une approche réglementaire et non systémique […]

Prenons l’exemple de la production de tomates. Elles peuvent pousser sous serres chauffées sur de très grande surfaces et être ramassées par un travailleur immigré payé une misère, ou par un travailleur dit détaché (payé selon les conditions sociales de son pays d’origine). Cette production de tomates pourra néanmoins bénéficier du label bio. Pourquoi ? Parce que le cahier des charges aura été respecté. Il s’agit d’un cahier des charges de techniques de production et pas d’un modèle d’agriculture respectueux des hommes et de la nature. C’est la limite du bio.

On peut ainsi dire que LA bio est un modèle de production et de société durable  qui porte une attention toute particulière à l’environnement, au sol et à ceux qui le cultivent, alors que LE bio n’est que le respect d’un cahier des charges que l’on peut trouver trop peu engagé. D’ailleurs en 2009 il y a eu un alignement du label français AB (créé en 1985 et plus exigeant) sur le label Européen, le rendant moins exigeant.

Plusieurs acteurs français ont alors réagi en créant le label Bio Cohérence, plus exigeant, dont le cahier des charges est proche de celui de l’ancien label français AB, qui correspond selon eux à l’esprit de LA bio.

Notons que d’autres labels sont nés autour de l’agriculture biologique, notamment Nature & Progrès, qui se veut encore plus exigeant que Bio Cohérence, et Demeter, qui identifie les produits d’une agriculture dite “biodynamique”, inspirée par le philosophe Rudolf Steiner (1861- 1925) en se basant sur une profonde compréhension des lois du « vivant ».

D’autres labels ont été créés, comme dernièrement “Bio Français Equitable” par la FNAB.

Label Agriculture Biologique Label bio Européen Label bio Cohérence Label Nature & Progrès Label Demeter


Concrètement, quelles sont les différences ?

Il y a bien plus de contraintes dans LA bio que dans LE bio. La différence étant avant tout philosophique,  elle est complexe à décrire. En voici un petit aperçu, basé sur les exigences des différents labels...

LE bio

  • Interdiction des engrais minéraux et des pesticides de synthèse (cependant 100 pesticides d’origine naturelle sont autorisés et il représentent 25% des volumes de l’ensemble des pesticides utilisés par l’agriculture en France)
  • Pas d’OGM (au-delà des 0,9 % admis en cas de contamination fortuite)
  • Interdiction des colorants et arômes chimiques de synthèse, des exhausteurs de goût. Le nombre d’additifs autorisés est fortement restreint
  • L’élevage en agriculture biologique est encadré par le règlement européen afin de mettre en œuvre des pratiques respectueuses du bien-être animal

LA bio

Contraintes sur les usages de produits :

  • Interdiction totale de traces d’OGM
  • Limiter l’usage des pesticides naturels
  • Conversion totale de l’exploitation en bio (en fonction des labels, toutes les activités sont soit bio, soit au minimum en cours de conversion)
  • Traitements vétérinaires allopathiques plus restreints (antibiotiques, antalgiques, anti-inflammatoires….)
  • Production sur place d’une grande partie des aliments pour animaux

Contraintes sur l’exploitation :

  • Limitation de la taille des exploitations
  • Souci de l’environnement extérieur pour éviter les contaminations par des exploitations moins exigeantes ou des sources de pollution (route, usine…) aux alentours
  • 100 % d'ingrédients bio dans les produits transformés.

Respect de cycles de la nature et de l’environnement :

  • L’utilisation de préparations naturelles spécifiques destinées à «vivifier» la terre
  • Réutilisation maximale des sous-produits de l’activité (déchets végétaux et animaux)
  • Meilleure gestion de l’eau et promotion de la biodiversité
  • Aménagement du domaine afin de préserver les ressources collectives (nappes phréatiques, etc.)
  • Limitation des emballages

Respect des producteurs :

  • Juste rémunération des travailleurs agricoles
  • Mise en place de fonds sociaux et accompagnement des producteurs
  • Favoriser des partenariats équitables
  • Privilégier les produits de saison et le local (limitation du transport jusqu’au consommateur final)


Ce qui différencie LA bio du bio c’est donc un modèle d’agriculture plus durable qui porte une attention toute particulière à l’équilibre des cycles naturels, à l’environnement et à ceux qui le cultivent.

Photo by Javardh on Unsplash

Mais comment définir une agriculture durable ? 

L’agriculture conventionnelle est un modèle qui montre aujourd’hui ses limites...

  • Elle rend les producteurs dépendants de facteurs et d’acteurs extérieurs : les cours des matières premières et la PAC (Politique Agricole Commune européenne), les marchands de semences et de produits phytosanitaires…
  • Elle ne permet pas aux agriculteurs de vivre correctement et conduit à une désaffection pour la profession : depuis 10 ans c’est une perte de 20 000 agriculteurs par an (environ 12 000 nouveaux agriculteurs pour 32 000 départs) (1)… En 2018, la moitié des exploitations dégageait un revenu inférieur à 1725 euros brut (souvent à diviser par deux ou plus) et pire encore un quart de ces exploitations affichaient des résultats mensuels bruts inférieurs à 642 euros (2) ! En soixante dix ans, plus de 4 millions de personnes ont quitté la profession agricole, soit l’équivalent de deux tiers des demandeurs d’emploi fin 2019.(3).
  • Elle est néfaste pour l’environnement : épuisement des sols, erosion, pollution ou épuisement des nappes phréatiques, disparition de la biodiversité, pollution de l’air, problèmes liés à l’épandage de produits phytosanitaires dangereux…

Ce modèle n’est tout simplement pas durable. L’un des problèmes majeurs est relativement simple à comprendre : nous envoyons nos sols à la mer. En effet, la partie des sols qui nous permet de produire ne représente qu’une couche de 30cm environ. En travaillant le sol de manière intensive, nous déséquilibrons sa structure, nous le rendons plus friable et il devient donc sujet à l’érosion.

https://biospheres.fr/


Pour pouvoir continuer à produire, un modèle durable doit donc intégrer la protection et la régénération des sols.

Ensuite, il s’agit d’inventer une agriculture qui promeut des externalités positives et non l’inverse : 

  • accroître la biodiversité afin de limiter les maladies et augmenter la résilience des cultures, et ainsi diminuer la dépendance aux intrants de synthèse
  • reconstruire les sols, comme nous venons de le voir, et ainsi restaurer leur capacité à filtrer l’eau pour recharger les nappes phréatiques plutôt que de les polluer

Et finalement, de revaloriser le rôle des agriculteurs et de leur permettre de vivre décemment de leur exploitation.

L’agroécologie dans tout ça ?

L’agroécologie, inscrite dans le Code Rural depuis 2014, représente un modèle agricole qui s’inspire de la nature, en copiant le fonctionnement des écosystèmes pour faire de l’agriculture. Elle place les sols au centre de sa démarche agronomique, c’est pourquoi on parle aussi d’une agriculture des sols vivants.

La démarche de l’agroécologie repose sur une évolution des pratiques agricoles pour atteindre :

  • une suppression du travail du sol
  • une couverture permanente du sol
  • une diversification et une rotation longue des cultures
  • un retour des arbres dans les systèmes agricoles

En comprenant et en copiant les mécanismes qui opèrent dans la nature, l’objectif de l’agroécologie est d’avoir des performances environnementales fortes en produisant autant, tout en réduisant les besoins énergétiques, les apports en eau, en engrais et en pesticides, ainsi que le travail de l’agriculteur.

L’agroécologie n’est pas un label qui s’appuie sur un cahier des charges fixe. C’est une démarche fédératrice de progrès qui accompagne chaque agriculteur qui le souhaite, et qu’importe son modèle agricole de base (agriculture conventionnelle, agriculture biologique, agriculture de conservation, etc.).

L’agroécologie permet une mise en valeur du travail de l’agriculteur au niveau économique, social, et environnemental, et une meilleure prise en compte du mangeur en lui offrant des produits avec une meilleure densité nutritionnelle.

Parce que LA bio est également concernée par la problématique du respect des sols vivants - on peut par exemple respecter LA bio tout en travaillant le sol de manière intensive - plus que d’être une fin en soi, elle constitue ainsi (plus que LE bio) une trajectoire vers l’agroécologie.

Un objectif commun et plusieurs trajectoires ?


La transition de l’alimentation et de l’agriculture vers l’agroécologie se fera, non pas par une accumulation de contraintes, mais par le partage des solutions.

Il est temps d’agir collectivement pour construire un modèle alimentaire et agricole résilient qui participe à la santé de tous...

  • Santé de la Planète : une agriculture qui capture et stocke du carbone en quantité, qui infiltre, filtre et stocke l’eau, qui produit de la biodiversité.
  • Santé des hommes et des animaux : une agriculture qui produit une alimentation de qualité pour les hommes et les bêtes (densité nutritionnelle, absence de résidus phytosanitaires, de perturbateurs endocriniens…)
  • Santé des territoires : une agriculture qui produit de la valeur (alimentation, énergie, matériaux…), la fixe sur les territoires, qui permet à ses acteurs de se projeter, d’anticiper et de transmettre aux générations suivantes leur économie et leurs savoir-faire.
https://biospheres.fr/

Une démarche inclusive avec un même objectif mais des trajectoires différentes...


http://agricultureduvivant.org/

* Agriculture de conservation : démarche agricole qui vise à considérer  le sol comme un milieu vivant, et non pas comme un support de culture. L’enjeu de l’agriculture de conservation est d’augmenter la fertilité du sol via trois axes majeurs : abandonner le travail mécanique du sol, adopter une couverture permanente des sols, et pratiquer une rotation longue des cultures. La démarche de l’agroécologie, dans laquelle on retrouve les trois axes de l’agriculture de conservation, se distingue par l’inclusivité et la démarche de progrès de son mouvement : elle est ouverte à tout type d’agriculture qui souhaite prendre le chemin des pratiques agroécologiques.

Cette trajectoire de progrès doit s’adapter aux caractéristiques de son environnement : territoire, contexte pédo-climatique, contexte écologique, etc. Cela passe donc par ré-acquérir des connaissances agronomiques et écologiques telles que le fonctionnement des sols et de ses microorganismes. 

Photo de Laurent Muratet Pour une Agriculture du Vivant

Nous voyons bien que le sujet d’une agriculture durable est complexe et ne peut pas être simplifié par un label. En témoigne les luttes qui font rage au sein du label bio (cf au dessus). Aussi, pour avancer ensemble vers cet objectif de bio-agroécologie, pas d’autres choix que d’agir ensemble et de ne pas réinventer un label dans son coin. 

C’est la stratégie de l’association Pour une agriculture du vivant, dont la mission principale est d’accélérer la transition alimentaire et agricole en structurant des filières de produits agroécologiques. 

L’objectif de l’association Pour une agriculture du vivant s’inscrit dans une démarche de progrès accessible à tous les agriculteurs : “le chemin de la fertilité des sols et des écosystèmes peut être aussi bien pris à partir d’une exploitation biologique que d’une exploitation conventionnelle” d’après Luis Barraud, responsable de la communication de Pour une agriculture du vivant. 

Cette démarche de comprendre les enjeux de chaque filière sous l’angle de la durabilité pour la terre et les hommes explique  notre choix d’être membre de l’association Pour une Agriculture du Vivant, pour agir au quotidien.


Pour Omie... aussi exigeant soit-il, chaque label ne constitue pas une fin en soi car il ne couvre souvent qu’une partie des enjeux concernant les produits alimentaires. A l’inverse, les labels peuvent exclure certains producteurs qui sont dans une démarche vertueuse, mais qui ne correspondent pas à leurs critères.
Notre choix est de participer à la construction d’une agriculture durable en identifiant pour chaque produit le meilleur compromis : fruit d’un questionnement transparent des méthodes actuelles et l’accompagnement de l’amélioration continue des pratiques agricoles. En adhérant à l’association Pour une Agriculture du Vivant, notre choix est de proposer un cahier de solutions plus qu’un cahier des charges fixe.